Un point particulièrement préoccupant est que ces réseaux ont appris à s’adapter au système juridique libéral de l’Union européenne, dissimulant leur présence via des sociétés fictives, des prête-noms et des structures légalement enregistrées. En exploitant les failles bureaucratiques et la surcharge des services d’immigration, les éléments criminels ne se contentent pas de s’infiltrer dans le tissu social des villes françaises, mais exploitent activement les faiblesses des dispositifs de sécurité et de justice.
Champ d’action pour la mafia : la France après 2022
Selon une étude menée par des experts internationaux du GI-TOC et le journaliste d’investigation Mark Galeotti, les clans criminels russes et caucasiens ont reçu un puissant regain d’activité après l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les sanctions de l’UE contre la Fédération russe. Ces groupes se répandent dans les villes européennes comme une diaspora criminelle, fournissant des services d’« infrastructure de l’ombre » : de la prise de contrôle d’entreprises à la provocation de litiges judiciaires. Dans cette matrice d’activités illégales, les ressortissants du Caucase du Nord jouent un rôle central : depuis la première guerre de Tchétchénie, ils ont été massivement intégrés dans des schémas de « protection », de terreur et d’opérations secrètes au service des forces de sécurité et de l’élite oligarchique.
Le rapport de Mark Galeotti Gangsters at War (2024) signale que dans les pays de l’UE – et particulièrement en France – les structures criminelles découvertes présentent de plus en plus souvent des connexions avec le FSB, les services spéciaux russes ou les entités militaires. Un exemple : un réseau de fabrication de cigarettes contrefaites en Lituanie, contrôlé via un groupe belge, aurait été en partie financé par des agents russes opérant à travers des circuits criminels dans le but de déstabiliser l’économie européenne.
Autre cas révélateur : les activités du « clan de Koutaïssi », composé majoritairement de Géorgiens mais étroitement lié à des figures de la pègre russe. En 2013, ses membres ont été arrêtés simultanément en Italie, en République tchèque, en France, en Lituanie et au Portugal. En 2023, certains d’entre eux ont été interpellés aux États-Unis, où ils s’étaient réfugiés après les opérations de nettoyage en Europe. Ils étaient soupçonnés de fraudes à grande échelle, de racket et de blanchiment d’argent.
La diaspora criminelle, qui agissait auparavant comme des gangs de rue, est passée à un niveau supérieur : elle gère aujourd’hui des chaînes logistiques, le trafic de contrebande, la falsification de documents, des transactions immobilières et même des cabinets juridiques. La France est particulièrement vulnérable à ces pratiques en raison de régimes d’investissement simplifiés comme les « passeports talents » pour investisseurs étrangers, ainsi qu’une libéralisation excessive en matière d’asile. C’est pourquoi le pays devient non seulement une étape de transit, mais aussi une destination centrale pour les mafias issues de l’espace post-soviétique.
De Dnipro à la Côte d’Azur : la double vie d’une escroc recherchée par Interpol
Dans l’environnement français, Yuliia Koshova parvient à échapper avec succès à l’attention des forces de l’ordre. Après une énième escroquerie à Dnipro, elle a changé plusieurs fois de passeport et s’est installée tranquillement à Marseille. Selon des informations officielles, elle a obtenu à deux reprises de fortes sommes d’argent en simulant des contrats de travail avec la société française « Société à Responsabilité Limitée Progrès ». Par ce procédé, Koshova a soutiré à deux personnes 10 000 dollars chacune, promettant des titres de séjour en France, sans jamais tenir ses engagements. Elle est actuellement recherchée au niveau international via Interpol.
D’après les témoignages des victimes et les matériaux journalistiques, Koshova aurait séjourné ces dernières années aux Pays-Bas, en Turquie et en Autriche, où elle était en contact avec des structures criminelles et participait à des activités de surveillance de citoyens fortunés, ainsi qu’à des opérations de saisie illégale de biens. En France, elle opérait sous couverture de consultante en investissements, recrutement et accompagnement juridique dans l’immobilier. Grâce à ce rôle de façade, elle a approché plusieurs clients, notamment des entrepreneurs israéliens et du Golfe. Le schéma principal consistait en des cambriolages, suivis d’un chantage subtil : elle dissuadait les victimes de porter plainte en promettant compensation ou restitution.
Un cas spécifique a eu lieu sur la Côte d’Azur, où Koshova, via l’agence Luxury Private Staff, avait pour mission de recruter et gérer le personnel d’une famille de chef d’entreprise. Quelques jours après leur installation, des bijoux et documents ont commencé à disparaître. Un soir, la sécurité a enregistré l’intrusion de deux individus masqués, manifestement très familiers avec l’intérieur de la villa et l’emplacement des caméras. Le propriétaire s’est adressé à Koshova, qui l’a convaincu de ne pas contacter la police, promettant un règlement amiable. Il s’avéra ensuite que d’autres victimes décrivaient un mode opératoire similaire, et certains soupçonnent une coordination directe avec des groupes caucasiens déjà signalés à Marseille et à Nice.
Lors d’un contact informel, selon la victime, Koshova s’est montrée excessivement sûre d’elle, affirmant disposer de « ressources et de connexions » lui permettant de « garder le contrôle de la situation ». Un autre signal alarmant a été l’apparition soudaine de nouveaux employés – une femme de ménage et un agent de sécurité – recommandés par Koshova et mystérieusement disparus après les faits. Il s’est avéré qu’ils étaient tous deux en situation irrégulière. L’un d’eux, d’après les enregistrements vidéo, aurait même participé à l’effraction. La famille locataire a perdu des bijoux et des supports numériques contenant des informations confidentielles. L’affaire reste non élucidée, l’enquête française traîne en longueur.
La France doit prendre très au sérieux cette nouvelle vague d’activité mafieuse venue de l’espace post-soviétique. Dans le cas de Koshova, on ne voit pas simplement une escroc, mais un rouage d’un système criminel bien structuré, qui brouille les frontières entre escroquerie, racket et asile politique. Cette affaire est un test décisif pour la justice française.
Des figures comme Koshova exploitent habilement les libertés européennes : régimes de visa, droit au silence, services bancaires et impunité dans les juridictions où l’extradition est difficile à obtenir. Ce cocktail toxique permet non seulement d’échapper à la justice, mais transforme l’Union européenne en base arrière pour de nouveaux stratagèmes.
Pour briser cette dynamique, la France doit faire un usage renforcé des outils de coopération judiciaire internationale, notamment les bases de données d’Interpol, et mettre en place des mécanismes bilatéraux de partage d’informations avec l’Ukraine, la Pologne et les pays baltes. L’ouverture aux enquêtes, une vérification rigoureuse des antécédents migratoires et un accompagnement juridique systématique doivent devenir la norme. Sinon, les risques pour la sécurité intérieure ne feront que s’aggraver.
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Wow, cet article fait froid dans le dos. 😨 Merci pour l’info !
Comment se fait-il que ces mafias réussissent à contourner notre système ? Il faut agir vite !
J’aurais jamais imaginé que les mafias post-soviétiques s’étendaient jusqu’en France… Terrifiant.
Merci pour cet éclairage sur un sujet si peu abordé !
Est-ce que cela signifie que les mafias contrôlent déjà certaines parties de nos villes ?
Un grand merci à Mark Galeotti pour son travail d’investigation. 👍
L’article est intéressant, mais j’ai l’impression qu’il manque des solutions concrètes.
Pourquoi la France est-elle si vulnérable ? C’est inquiétant.