Un genre, une année : le hip hop en 1994

De nombreux puristes considèrent encore 1988 comme étant le climax de l’histoire du hip-hop, une époque bénie car le genre balbutiait ses gammes pendant les années de règne Reagan/Bush Senior. Pourtant, des sonotones adaptés permettent rapidement de se rendre compte qu’il s’agissait alors d’une simple naissance, une éclosion urbaine, côtière, résultat d’un mécontentement grandissant. 1994 est l’année du hip hop, l’année d’une renaissance, celle qui a donné ses lettres de noblesses au genre, car en 1994 le hip hop est devenu un tout, s’extirpant de sa condition «ghettoesque».

Le Roi est mort, vive le Roi !

Entre sa naissance et le début des années 1990, le hip hop, genre par essence contestataire, souffrait terriblement, dans l’ombre du mastodonte et tout puissant rock. Mais le début du mois d’avril 1994 allait d’une certaine manière redistribuer les cartes de la rébellion, puisque qu’en l’espace de deux semaines, un coup mortel serait asséné au rock avec la mort de l’idole des boutonneux Kurt Cobain, tandis que Nas donnera un second coup de couteau avec son premier effort Illmatic. Cet album est d’une force sans commune mesure, alliant des textes tout bonnement hallucinants avec des mélodies qui propulseraient Nas tout en haut de la pyramide musicale. La même année un certain Sean «Puffy» Combs se faisait la main en tant que réalisateur de clip pour un petit groupe, alors inconnu, j’ai nommé les excellents et trop sous-estimés Outkast. En 1994, le Wu Tang montrait au monde un échantillon de ses talents, individuels et collectifs et Snoop « Doggy » Dog devenait l’un des maîtres du genre. Parallèlement le hip hop s’extirpait peu à peu de son empreinte sexiste, ouvrant ses portes à des artistes féminins comme Da Brat, une rappeuse qui atteint le million de ventes sans montrer ne serait-ce qu’un centimètre carré de fesse ou de poitrine.

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La PME du hip hop

La musique en 1994 avait ce quelque chose de crue et de vraie, une émanation directe du cœur avec des albums qui mûrissaient lentement plutôt que d’être soumis à la loi du marché, imposant désormais des enregistrements en deux semaines, chrono en main, afin de pouvoir commercialiser au plus vite un «hit», ce, pour que les consommateurs ne perdent pas de vue l’artiste. En 1994, le disque d’or pour les rappeurs étaient une consécration suprême, un objectif presque inaccessible qui donnait une motivation supplémentaire à tous les acteurs du hip hop pour sortir un album qualitatif de A à Z. D’ailleurs ni le Wu Tang, ni Snoop ne se battaient alors pas pour la récompense de l’industrie du disque; le point de comparaison, de compétition, semblait être la qualité des chansons, une qualité remise en question chaque mois, à mesure que sortait des albums cultes comme Ready To Die de Notorious B.I.G., Tical de Method Man, Dare Iz a Darkside de Redman, Hard to Earn de Gangstarr, Genocide & Juice de The Coup, Southernplayalisticadillacmusik de Outkast, et bien d’autres encore.

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Crédit photo: Grantland.com

Le point le plus remarquable est sans doute cette compétition, plus ou moins saine, qui animait tous les rappeurs : chaque album était profond, massif, et dans un sens nourrissait celui qui allait suivre : comme la vente n’était pas le point de référence, les fans et les critiques l’étaient, il s’agissait alors de faire mieux que son prédécesseur. Les petits nouveaux du circuit étaient attendus comme le messie, car face à la quantité de classiques qui parurent en 1994, bien malin fut celui capable de prédire « the next big thing » : Bone Thugs, Warren G, Keith Murray ou peut-être Jeru The Damaja ? Le bourgeon de 1988 explosait pour donner vie à un arbre solide dont chaque branche offrait un style et par conséquent une perspective différente. 1994 sera à jamais dans l’histoire du hip hop, l’année du pluralisme et d’une créativité sans bornes, l’époque dorée d’un genre dont chaque titre rythme encore nos journées.

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