Alors que l’usage de bloqueurs de pubs ne cesse de prendre de l’ampleur, les éditeurs contre-attaquent, et c’est la guerre !

La publicité sur internet fait l’objet d’un large débat entre les internautes excédés qui s’équipent de bloqueurs de pub et les éditeurs de site web qui souffrent de la baisse de revenus publicitaires. Un équilibre difficile à trouver pour un modèle financé majoritairement, justement, par la publicité. Si les « adblocks » ont gagné la première manche, la contre-attaque s’organise.

Une équation fragile

Sur internet, rien n’est plus agaçant qu’un énorme pop-up qui s’affiche devant nos yeux, alors que nous consultons un article, ou une vidéo qui se lance toute seule sans que nous n’ayons rien demandé. Internet a été pendant longtemps un espèce de far-west sans foi ni loi, où plus les publicités étaient criardes, intrusives et bruyantes, plus les annonceurs espéraient capter l’attention des internautes.

Sauf qu’en quelques années, les adblocks, ces petits programmes permettant de bloquer la publicité sur les pages web, se sont développés et équipent maintenant un nombre croissant de navigateurs. Or, ce succès est à double tranchant et cristallise aujourd’hui une tension entre internautes, annonceurs et éditeurs de site web.

Le Tube, le magazine média de CANAL+, s’est penché sur le phénomène adblock

En apparence, l’équation est simple. Proposer du contenu de qualité coûte de l’argent et les éditeurs vendent donc de la publicité à des annonceurs pour toucher leur public cible: les internautes. Sauf que si l’on retire une variable de cette formule, tout devient plus dangereusement instable. Moins de publicité veut dire moins de revenus pour les éditeurs et donc une incapacité à financer une rédaction ou un site web. Comment faire mieux avec moins ? C’est le fameux casse-tête du moment qui est au cœur de la guerre entre adblockers et éditeurs de site.

L’exemple du journal allemand Bild

Aucune parade claire n’existe vraiment aujourd’hui, mais on assiste à des tentatives de solution: certains sites font de la pédagogie, avec un bandeau qui explique pourquoi les adblockers mettent en danger les éditeurs.

Tandis que d’autres ont des solutions beaucoup plus radicales. Les internautes veulent du contenu de qualité, mais ne veulent plus voir de publicités. La recette est alors simple: pour voir le contenu, il faut soit désactiver son bloqueur de publicités, soit payer. C’est le choix du journal allemand Bild (édité par le groupe Axel Springer) dans sa version électronique et c’est un choix qui fait parler de lui. Si les lecteurs veulent aller sur le site du journal sans désactiver leur bloqueur, ils devront débourser 2,99 euros. Un choix radical. Du coup, près de 70% des internautes ont alors désactivé leur bloqueur.

Bild, adblock

La page d’accueil du site Bild.de si vous avez un adblocker installé sur votre navigateur.

L’exemple du Bild illustre cette bataille entre les impératifs économiques liés au développement d’un site de qualité et l’envie ou le besoin de surfer sur un web « propre », débarrassé de toute distraction visuelle ou tentation consumériste. En clair, consommer un produit payant, mais gratuitement. On est en plein dans le paradoxe du téléchargement pirate qui a hanté les grandes maisons de disques ou les studios de cinéma il y a une dizaine d’années.

Des petits éditeurs menacés

Sauf que tout le monde n’a pas la puissance ni le lectorat du Bild. Le web est surtout constitué d’une myriade de « petits » sites qui délivrent de l’information. Or, il y a peu de chance que ceux-ci parviennent à mettre en place ce même type de stratégie. Il y aura toujours un concurrent chez qui on pourra trouver, à peu de chose près, le même type d’informations.

Plus les internautes utilisent les adblocks, plus les petits éditeurs perdent de l’argent. Et dans une petite rédaction, cela peut se traduire concrètement par un licenciement économique. Pour éviter d’en arriver à cette solution extrême, les grands acteurs de la publicité numérique souhaitent peu à peu faire évoluer leurs offres publicitaires vers des pratiques plus responsables. En clair, des publicités toujours moins intrusives, mieux intégrées dans le flux des actualités, plus qualitatives et plus en phase avec les besoins de l’internaute à un moment donné.

Frédéric Montagnon veut contrer les adblocks pour aider les petits éditeurs

Si cette mutation prend du temps, la pédagogie sur les bloqueurs de publicités doit continuer à se faire en parallèle. Et c’est aux éditeurs de faire le grand écart entre la vente d’espaces pub et expliquer pourquoi les adblocks peuvent représenter un danger potentiel pour la survie d’un site.

Cette question touche aussi le modèle économique de ces sites qui vivent de la pub. La question se pose pour savoir quelle solution adopter: proposer une offre freemium ? Un système d’abonnement ? Interdire les bloqueurs de pub pour avoir accès au contenu ? Imposer des restrictions aux internautes équipés d’adblocks ? Les options sont en réflexion dans toutes les rédactions.

Yahoo! s’en mêle

La question des bloqueurs est si importante dans le monde du web qu’elle agite même Yahoo!. En effet, certains utilisateurs de Yahoo! Mail ont dû désactiver leurs bloqueurs de publicités pour accéder à leurs emails. Cela peut être logique, puisque de la publicité y est insérée, mais maladroit, voire choquant quand on touche à la vie numérique des internautes du jour au lendemain sans aucun avertissement. Le risque serait que les clients de Yahoo! se passent du webmail pour rapatrier directement leurs emails dans une application dédiée. Chaque tentative de contrôler la liberté présumée des internautes sur le net se soldera inévitablement par une réponse toujours plus importante qu’escomptée.

À terme, on risque donc d’arriver à un web à deux vitesses: le payant, débarrassé de toute publicité, comme le font déjà Spotify premium, YouTube avec sa version Red, les grands journaux…; et un gratuit avec de la publicité que les internautes pourront de moins en moins esquiver. Sans compter qu’à chaque réplique des éditeurs, la communauté des adbloqueurs s’organisera pour proposer un nouvel outil contournant ses précédentes règles. Le fameux « bloqueur de bloqueur de bloqueur de pubs ». Une sorte de jeu du chat et de la souris sous la bénédiction d’Apple, qui permet, dans la dernière version de son système d’exploitation pour mobile d’intégrer des bloqueurs de publicité. Mais il est vrai que la firme à la pomme ne vit pas de la publicité contrairement à son grand rival Google.

Bref, si les éditeurs contre-attaquent, il n’est pas exclu que le retour d’adblock conclut cette première trilogie !

À lire aussi : Adblock Plus révèle pour la première fois son business model

Crédit photo principale : PageFair

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